L'amour en fuite
et heureuses rencontres...
Vincent Delerm, en "duo" avec Souchon - L'amour en fuite (Bataclan 2009)
et heureuses rencontres...
Vincent Delerm, en "duo" avec Souchon - L'amour en fuite (Bataclan 2009)
Et ce que tu ne dis pas
ou si peu
parce que tu as si peur de ne pouvoir compter dessus
C'est le bonheur de sa présence
Et son émotion
Et son désir
Et le tien, de caresser sa joue
Le bonheur de vos rencontres, et de vos emmêlements
Tu ne le dis pas
Parce que le bonheur ne se dit pas
Parce que, quoi, ce serait, se vanter, trop espérer, trop se croire
Parce que le bonheur est impudique
Tu dis le malheur, parce que tu espères le faire exploser
Et tu espères que d'autres, malheureux comme toi, trouveront dans tes mots le mélange salvateur
au moins des ingrédients, des armes
Parce que le malheur est toujours trop sûr
Parce que nous sommes nombreux entraînés vers le fond
Parce que le malheur arrive et qu'il est normal d'être triste
Mais que certains s'enchaînent des boulets autour du cou comme si le malheur était condamnation
Confirmation de condamnation
Damnation et confirmation de damnation
Malheur d'aujourd'hui et confirmation du malheur de demain
A quoi t'attendais-tu ?
Quoi, qu'on puisse t'aimer, toi ?
Il y a un endroit de toi qui sait que c'est fou tout ce malheur qui te précède
Un endroit de toi qui sait l'ici et le maintenant, son imperfection et ses bonheurs doux
Et ses bonheurs intenses
Un endroit de toi relié - qui s'étonne parfois de se retrouver et de s'étonner de se retrouver
Car personne ne te disait qu'il s'était absenté - ou plutôt que tu t'étais éloignée
si loin
Le bonheur possible
Et c'est seulement quand tu atterris que tu te rends compte comme tu t'étais éloignée
du présent, des traces, des signes, de ce que tu sais et que tu sens
Soudain, tu as raté une marche, ton bras n'a pas trouvé la rampe,
Là où tu t'attendais à trouver une réponse, un mouvement, ça s'est dérobé
Tu es perdue - le rendez-vous raté, est-ce ton attente qui était déréglée, tu attendais trop tôt, pas le bon signe
Ou la réponse - qui témoigne par son absence
A quoi peut-on faire confiance
Ta confiance est fragile
Tu t'attends à l'absence
Et quand tu la trouves ce que tu crains devient sûr
Et tu tombes
Et c'est vertigineux
Tu voudrais avoir confiance
Mais tout s'effondre
Rien n'est fiable
Et tu ne te rends pas compte
de la dureté de fer de ta "lucidité" qui est en fait suspicion
de ta conviction dans le doute
Tu as du mal à croire, à faire foi
Tu donnes toute crédibilité aux signes négatifs quand tu hésites à profiter des heureuses présences
Mais tu profites des heureuses présences - leur joie est ce qui donne de la force à tes attentes
La félicité des heures s'étend sur celles qui suivent
C'est cette extension même qui devient attente
Attente délicieuse at first
Comme on tend ses lèvres pour un baiser
Mais si vite il fait froid
les heures s'allongent
Et bientôt il est trop tard
Quel est ce décompte intérieur sur lequel tu as si peu de prise et qui te ment à toi-même
Il te chante "Je vais bien tout va bien" avant les premiers signes de malaise, d'inquiétude
Mais quand ceux-ci viennent il est déjà trop tard
Tu es embarquée
Emportée à 400 kilomètres heure
Le pire est déjà su
Le désamour
D'autres priorités
Et toi qui n'en a pas d'autres que d'être aimée
Tu dévales la pente
Let me redefine your agenda
Le silence sonne si fort
Pour toi ça n’est qu’une minute
Pour moi – le gouffre
Après une phrase qui n’a de sens que suivie d’une autre
Même une question anodine
Laissée en suspens elle devient marionnette grotesque
Abandonnée les bras levés
Elle attend réplique ou geste qui ne vient pas
Elle se fige
Quel est ce rythme qui ne vient pas
Que je ne sens pas
On s’accorde si bien parfois
Et là
Est-ce le temps qui ne s’écoule pas pareil
Chez toi et chez moi
S’agit-il de l’ajustement de nos mouvements, nécessaire comme on s’accorde
Ou ton désir qui n’est pas là
Au lieu de la rencontre je suis seule
Je pense à toi aussi
Douces paroles
L'évidence de ce que ça dit
Un aveu
Comment ignorer tous les empêchements
Tout ce que ça peut ne pas devenir
Un aveu qui pourra être dénié
Et vivre avec ça seconde après seconde
La certitude et l'incertitude
Le gouffre qui s'ouvre devant nos pas
Le nous esquissé
L'emportement vibrant, délicieux
Fragile, incertain
Si facile de vivre sans
On peut renoncer bien sûr
On peut vivre moins
On en meurt doucement
Les délices d'un moment partagé,
de sourires échangés,
de "moi aussi" et de plaisir
Peut-être dire la pluralité
quand un seul ne suffit pas
quand l'effet déceptif lasse
Alors il faudrait dire l'intensité
du bonheur dans la présence,
dans la perspective vibrante de le voir
Les émotions du corps
Les chaleurs circulantes
Alors il faudrait dire la rareté
Et la solitude, et le temps à soi, et le "tu ne me manques pas".
Il ne me manque pas.
L'étonnement. L'attention au chatoiement des émotions qui se succèdent, aux attentes qui se déploient, se résorbent, se déplacent
Alors il faudrait dire les rêves, et ceux que l'on y retrouve
L'espoir
Le passé que l'on retrouve
La disponibilité ou l'indisponibilité du présent
L'ouverture de l'avenir et l'attente du creux du ventre au dessus du nombril
de recevoir un souffle doux
Que crois-tu ?
Bien sûr que je te désire !
Que préfèrerais-tu ? Ne pas m'intéresser, ne pas m'attirer ?
Rhâ ! Je veux le moment de joie, je veux la tendresse, je veux être proche de toi à te toucher, je veux te toucher. Tu es là, devant moi.
Et après ?
Après, si vite, les murs invisibles.
L'indisponibilité, les précautions, les règles de prudence, la tricherie.
La cage de verre exigue.
Le retour des dérobades, les réponses qui viennent si tard.
L'alternance présence ardente absence glaciale.
Les rhumes donc.
Je ne veux pas être enrhumée, je ne veux pas aimer pour deux.
Bientôt le retour du "Ne crois pas que".
Eh bien, je veux l'espace pour croire. Je veux croire, je veux pouvoir croire, je veux pouvoir avoir envie.
Je ne veux pas d'un espace temps étriqué.
Je ne veux pas des tristes mensonges.
Je ne veux pas être triste.
Je veux du plaisir, je veux du désir, mais surtout, je veux de la joie.
Je veux du grand, du possible, de l'espace, des espaces.
Qui a dit que je te voulais toi ?
Que crois-tu ?
M'as-tu vue venir te chercher ?
Je ne te cherche pas. Je ne te cherche plus. Je t'ai longtemps cherché, mais c'était il y a longtemps.
Je te vois, tu es là, devant moi. C'est délicieux, je ne le nie pas.
Pourquoi vouloir plus ? Pourquoi faire ce qui engagerait plus de moi ?
Qui engagerait mon corps, ma tendresse et ma soif de tendresse ?
Je ne suis pas un luxe, et tu n'es pas mon luxe.
Tu n'es pas un luxe quand tu te présentes à mon corps et mon coeur assoiffés.
Tu me rappelles que je suis dénutrie de nourritures vitales.
Je voudrais continuer après qu'on a parlé. Que voudrai-je après s'être emmêlés ?
N'embarque pas mon coeur, mon corps et ma tendresse !
Laisse-les frémir sans les faire brûler.
Ils refroidiront doucement dans la nuit.
Ils palpiteront tranquillement les jours qui suivront, au rythme de ma vie.
Ils me laisseront présente aux présents, et non aspirée par un absent.
Viens-me voir, mais laisse-moi repartir.
Que crois-tu ?
Je ne suis peut-être pas assez forte pour ne pas te suivre.
Je ne suis pas sûre d'être aussi accueillante, de les accueillir tous. Mais il en est quelques uns. Et je ne sais pas quel étrange pacte j'ai passé envers toi. Je me souviens seulement du moment. J'ai consenti, c'est comme ça. Alors non, je dois constater, je ne me lasse pas - ou je me lasse, mais ça ne suffit pas. J'ai essayé de trancher, tu as disparu, tu as réapparu, c'était comme si je n'avais pas tranché. Pourtant j'avais saigné. Pourtant j'avais poussé dans d'autres directions et il n'y avait pas vraiment de place pour toi. Il faut croire que si.
Triste parce que tu n'appelles pas.
Triste parce que je voudrais que ce soit toi.
Toi enfin un autre, parce que tout ce que tu me montres, c'est toi et encore toi.
Moi un luxe, toi trois petits tours et puis t'en vas.
Oubliées les bonnes manières, tu ne savais même pas très bien ce que tu faisais là.
Et moi - je n'ai donné et pris qu'un peu de tendresse. Moi non plus je ne savais pas.
Tu es parti sans un mot. Juste un regard doux. Je n'avais pas de question, je n'ai pas dit plus. A qui ?
Réduite au silence.
Soudain tu reparais, tu es plus présent.
J'aime que tu sois dans mon paysage, ça me dit que ça n'était pas rien, que tu m'estimes, m'apprécies, tiens à moi peut-être.
Oui, non, ça n'est pas évident. Mon angoisse, ton absence, ton don d'évanescence.
De cette manière là, en te voyant de temps en temps, en ne te demandant rien, en te laissant venir, j'ai le plaisir de te voir et de penser que je compte.
Tu sembles t'être civilisé, tu m'envoies de petits messages me disant le plaisir de m'avoir vue, immédiatement après.
ça fait plaisir, c'est inattendu, et puis je m'habitue. Je guette la douceur du petit mot d'après. Celui quand tu t'éclipses qui me dit que tu m'emportes un peu avec toi.
Tu es amoureux, me dis-tu, pas de moi. ça me protège. Je ne vais pas par là. Et on ne se voit pas trop souvent.
Je ne me mens pas trop. Je sais l'intensité inhabituelle du plaisir, encore lui, à recevoir une proposition de toi, l'onde de joie qui précède un rendez-vous, l'attention avec laquelle je me prépare pour lui, pour toi - mais pas trop. Ne pas trop en faire, ne pas trop investir, ma vie est ailleurs. Un petit plaisir en passant, le temps que nous passons ensemble, aussi le plaisir narcissique de voir ce plaisir réciproque.
Il y aura l'absence après, pour calmer le jeu, pour passer à autre chose, pour ne pas perturber les équilibres et déséquilibres de ma vie, dont j'attends ou invente les réponses ailleurs. Une absence qui n'est pas un manque.
Fragile équilibre.
Tu fais un pas vers moi. Quel est ce pas là ?
Tu me prends dans tes bras, quelle est cette chaleur-là ?
Je me protège, de ton absence, de ton évanescence.
Je prends ce que tu me donnes, mais je perds de ne pas aller à ta rencontre.
Et si je m'avance, je crains de rencontrer... tes silences.
Je n'attends pas, je n'attends rien - toi qui aimes l'ordre, tant de bazar dans ta vie !
Je n'attends rien, tant de choses à faire dans la mienne, beaucoup d'envies, mais pas d'envies du passé.
Je veux les rencontres du présent, peut-être celle que je ferai et referai pour les dix prochaines années, plus encore... qui sait ?
Je n'attends rien, mais l'attente a glissé un pied dans la porte et la laisse entrebaillée.
Un courant d'air agite mes piles de papiers, agite mes idées, me trouble.
Que veux-tu ? Que me veux-tu ?
Ah, ah, je me retrouve à espérer, quoi ? Je ne sais pas ! Rien, tout, un peu, je n'y crois pas vraiment.
Quand j'espère, j'attends, quand j'attends, tu te dérobes.
Je ne sais si l'évanescence est la tienne ou celle de mon espoir
(mais mon espoir est revêche, acariâtre et obstiné).
Vanessa Paradis & Benjamin Biolay - Le Rempart