Retour à Brigitte Fontaine
Retour à la chanson Conne : dans cette chanson, Brigitte Fontaine parle, crie les phrases d'angoisse, sans distance mais en les animant d'une telle énergie, d'une telle rage, d'une telle attention, les articulant jusqu'à les déformer qu'elle révèle leur vacuité...
La chanson commence par la phrase presque pleurnicheuse : "Je suis malheureuuuuuse..." comme une petite fille, ou plutôt une adolescente - viennent alors les propositions tout droit issues des humeurs tristes :
"PARCE QUE
Je suis CONNE !
Et que tout le monde est CON."
C'est
le coeur des pensées qui tournent en rond les soirs de déprime : je
suis nul-le, les autres sont nuls. Identifiables aisément par leur
caractère absolu : aucun complément circonstantiel, présent dit "de
vérité générale", "tout le monde" - dans d'autres exemples "personne",
"jamais", "toujours".
Viennent alors la déclinaison des
raisons profondes et superficielles que l'on agite comme éléments de
preuve de l'horreur de la vie, leur adjonction dans l'énumération fait
apparaître leur caractère vain - surtout quand il reste sur le mode de
la plainte. C'est prendre les choses du mauvais côté, mal les saisir,
les saisir à faux...
"j'ai
raté ma vie", "j'ai raté mon évolution spirituelle", "je ne sais même
pas parler une langue étrangère", "je n'ai même pas appartenu à un
ordre initiatique !", "j'ai négligé mes devoirs... envers l'Univers !"
L'humeur triste déforme les choses, impose entre moi et le monde la
grille qui ne laisse filtrer que les constats les plus désespérants... ou le désespoir sur les contenus les plus divers...
L'exaltation
qu'y introduit Brigitte Fontaine, son martèlement des syllabes (pour
reprendre des mots de Michaux), les images fleuries-loufoques et
délicieusement parlantes qu'elle y glisse (précisément pour donner
figure à la proposition "je suis passée à côté de l'amour !") amènent avec elles une joie puissante ! (si, si !)
Cette chanson a sur moi un effet d'exorcisme tout à fait jubilatoire ! Il y aurait beaucoup d'autres choses à en dire. Mais je tiens à l'idée que la plupart des énoncés (ceux que j'ai cités ci-dessus par exemple) sont des formules, des phrases stéréotypiques que l'on retrouve les jours de déprime sous une forme ou une autre. La jubilation vient de la possibilité de les reprendre jusqu'à les faire imploser, et non de tâcher laborieusement de s'en détacher ou de les recouvrir d'un optimisme volontariste, quand on n'y adhère pas purement et simplement...