Mon nom est Légion
Bien sûr, il eût fallu que je cite ce passage de Barthes sur
l'attente, si efficace, si drôle dans sa grandiloquence, à la fois triste et jubilatoire dans cette cruelle
justesse de la pathétique figure qu'il dessine :
"Toutes ces
diversions qui me sollicitent seraient des moments perdus pour
l'attente, des impuretés d'angoisse. Car l'angoisse d'attente veut que
je sois assis dans un fauteuil à portée du téléphone, sans rien faire."
Barthes, Fragments..., p.49
ça ressemble à une recette, la recette de l'attente (dans un dénuement à l'opposé de la luxuriante chatoyance de la recette du Cake d'amour, dans le Peau d'âne de Demy - Est-il possible qu'aucun fragment n'en soit présent dans ces pages ? A réparer...)
Recette de l'attente
- Etre assis dans un fauteuil (mais au bord, alors, prêt à répondre, et ça permet de vérifier si "le téléphone est bien raccroché")
- à portée du téléphone
- sans RIEN faire
Mais l'attente... On attend peut-être toujours un peu... Est-ce
qu'on attend encore quand on n'y croit plus ? On y croit toujours
encore trop. Quand l'espoir se défait, le jour se couvre d'un voile un
peu grisâtre...
Ce qui reste vif, par éclats douloureux, ce sont
parfois d'autres formes d'angoisse. Celles qui vous attrapaient par un
pied, par une oreille, doucement ou en vous mordant d'un coup
sauvagement le coeur... Les petits démons... On négocie, on argumente,
on se raisonne... Mais ce n'est pas d'un voile gris qu'ils recouvrent
le ciel, ils vous font plonger dans l'ombre. Le soleil pouvait briller,
il a disparu soudainement. Rien ne vous semble plus sûr que le pire.
Tellement plus vraisemblable...
Alors ce passage, extrait du chapitre "Nous sommes nos propres démons" :
"Le
démon est pluriel ("Mon nom est Légion", Luc, 7, 30). Lorsqu'un démon
est repoussé, lorsque je lui ai enfin imposé le silence (par hasard ou
par lutte) un autre lève la tête à côté et se met à parler. La vie
démoniaque d'un amoureux est semblable à la surface d'un solfatare ; de
grosses bulles (brûlantes et boueuses) crèvent l'une après l'autre;
quand l'une retombe et s'apaise, retourne à la masse, une autre plus
loin se forme, se gonfle. Les bulles "désespoir", "jalousie",
"exclusion", "désir", "incertitude de conduite", "frayeur de perdre la
face" (le plus méchant des démons) font "ploc" l'une après l'autre dans
un ordre indéterminé." Barthes, Fragments..., p.95-96
Le démon, notre méchante pente... N'est-ce pas lui qui nous fait
agir de façon désordonnée, nous cache le meilleur et fait faire le pire
tandis qu'il en agite l'ombre devant nous ?
Il me tient par mon
angoisse de n'être pas aimée et me fait courir après qui m'a promis
qu'il ne m'aimerait pas... comme je le voudrais...